Quelle GRH dans un contexte de démocratisation

Publié le par Nadir Moufakkir

La démocratie dans l’entreprise commence par le respect du code du travail. L’absence d’un interlocuteur crédible pour le management est une menace pour l’entreprise.

GRH

 

Ya-t-il vraiment une démocratie au sein de l’entreprise ? Depuis le XIXe siècle, la question de la démocratie au travail a donné lieu à de nombreuses recherches. Si ce sujet est à nouveau soulevé, c’est en raison du printemps arabe qui a fait que le besoin de s’exprimer des populations et de décider par elles-mêmes n’épargne pas le monde de l’entreprise qui est une émanation de la société dans son sens large. Comprenant que la peur a changé de camp, il est tentant pour certains leaders (syndicalistes, représentants du personnel, ou même autoproclamés) de placer la barre un peu plus haut pour arracher beaucoup plus que ce que procure la réglementation du travail ou faire respecter celle-ci, qui, on en convient, est encore largement bafouée dans plusieurs entreprises. Le risque dans ce contexte que vivent les sociétés arabes de manière générale est de confondre droits sociaux, tels qu’ils sont appréhendés dans l’entreprise, et droits politiques qui relèvent de la gestion d’un pays. Le piège de l’amalgame est ouvert. Reste à savoir le réel état d’esprit qui prévaut dans le monde du travail, plus particulièrement dans le secteur privé. C’est à cet égard que La Vie éco a organisé la troisième édition de son «Rendez-vous RH» sur le thème : «Quelle gestion des ressources humaines dans un contexte de revendication du respect des principes démocratiques».
De prime abord, M’hammed Abdelhak, consultant RH et médiateur social, remet la question dans le contexte culturel. «Dans les mentalités, la notion de démocratie n’a pas de place dans l’entreprise, et ce, depuis des années. Mais, après tout, la démocratie en entreprise c’est d’abord le respect de la législation du travail, que ce soit du côté du patronat ou celui des salariés. Ça se résume en fin de compte à l’équité, la reconnaissance, le partage des valeurs et bien d’autres facteurs», explique-t-il. Mais encore faut-il des acteurs pour porter ces valeurs et les inculquer aux patrons. Abdallah El Jout, expert RH et ancien DRH, constate à ce propos que «les rapports sociaux au sein de l’entreprise ne sont pas ce qu’ils devraient être». Il considère que le désir de changement est omniprésent, mais il y a une absence totale des acteurs sociaux ou institutions capables de l’incarner. M. El Jout parle clairement de la «délégitimation progressive des structures intermédiaires,  tels que les partis politiques et les syndicats, qui sont des relais nécessaires». Par conséquent, c’est la rue qui impose le calendrier, choisit les thèmes et les priorités.
Si le bouillonnement politique glisse dans le monde de l’entreprise, c’est qu’au départ il y a beaucoup de dysfonctionnements dans l’entreprise. «Quand nous avons une économie dominée par l’informel, il est évident que les droits des salariés peuvent être bafoués. Et, le fait que les sanctions prévues par le code du travail sont faibles encourage des entreprises à violer certaines règles», explique Brahim Atrouch, consultant en droit social. En somme, certaines frondes des travailleurs sont largement justifiées, si elles se limitent à la protection des droits sociaux. Cependant, la peur des décideurs publics et privés est que les syndicats, jugés pourtant absents par M. El Jout, essaient de se donner une virginité en surfant sur la vague actuelle pour recruter du monde et renforcer leur poids politique.
 

Les salariés bridés par peur de perdre leur emploi

Selon Ali Serhani, les salariés ont, de manière générale, compris, à l’instar des employeurs, qu’ils ont intérêt à œuvrer pour la préservation de l’emploi en tirant les leçons des évènements que vivent d’autres pays de la sous-région où beaucoup ont cru qu’ils pouvaient choisir leurs propres patrons et imposer des conditions financières ou de travail plus intéressantes que ce qu’ils avaient jusqu’alors. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas un besoin de reconsidérer les rapports dans l’entreprise, parce que la performance de celle-ci dépend de l’équilibre entre le social et l’économique. En effet, plus on vise des profits élevés, moins le souci de prendre en considération le bien-être des collaborateurs est évident. On le voit aujourd’hui. Dans cette économie globalisée, plus personne ne peut empêcher un patron de transférer son outil industriel là où il pense pouvoir être plus à l’aise pour atteindre ses objectifs financiers. C’est peut être cette menace qui bride les velléités de contestation dans le secteur privé.
Néanmoins, certains patrons ont compris que le monde a changé et qu’il est impossible de continuer à fonctionner selon les mêmes critères. Et ce, avant même que le tocsin du printemps arabe ne sonne le réveil. Mohammed Benouarrek, DRH de Promamec, ne dramatise en rien le contexte politique actuel et les incidences que cela peut avoir sur l’entreprise. «Le processus de démocratisation se reflète souvent au niveau des entreprises. Le passage du management autoritaire au management participatif est un exemple clair illustrant cette interaction évolutive. Le passage de représentants syndicaux uniquement vers la notion de partenaires sociaux incluant également les représentants du personnel (élus d’une manière démocratique) est un autre exemple à citer à cet effet», commente-t-il.

Le dialogue social ne doit pas se réduire à une formalité

Ali Serhani souligne que «généralement, les multinationales et les grandes entreprises nationales restent respectueuses des droits individuels et sociaux des salariés», et se désole que «des entreprises de type Bouchekara -qui ne sont pas toutes des petites- continuent malheureusement à bafouer les droits basiques des salariés». Les premières doivent donc conforter les acquis ou, si possible, en donner un peu plus. Ce sont dans les seconds que les conflits peuvent être les plus durs, donc que le grand ménage s’impose. «Ce n’est pas nécessairement la mise en place des représentants du personnel qui vont arranger les choses. C’est plutôt par rapport à la politique RH mise en place», prévient M’hammed Abdelhak. Il regrette que «parfois, lors des élections des délégués du personnel, les entreprises ne procèdent que par désignation en cooptant souvent les contestataires afin d’obtenir la paix sociale». Brahim Atrouch ajoute dans la foulée qu’un «dialogue social ne doit pas se réduire à une formalité, juste pour appliquer la loi. Il faut qu’un dirigeant se dise que le travail de proximité avec ses salariés est un véritable investissement et non une perte de temps». Mais pour qu’il soit plus efficace, il faut nécessairement des interlocuteurs au niveau des collaborateurs pour faire remonter toutes les attentes et trouver des remèdes à tout mécontentement. Et là, ce n’est qu’en responsabilisant ces derniers et en leur exposant clairement les enjeux que l’on peut éviter les risques de crise.
Respecter le code du travail, écouter les collaborateurs et en faire des partenaires, œuvrer pour plus d’équilibre entre l’économique et le social sont en résumé trois grands champs à labourer pour éviter que l’herbe de la contestation ne prenne racine. Ce travail, souligne M. Abdelhak, est fait dans quelques entreprises où des protocoles d’accord, renouvelés périodiquement (deux à trois ans), comprennent toutes les actions à mettre en place, qui portent généralement sur de nombreuses thématiques (qualité, sécurité, conditions de travail, organisation, résultats d’entreprise). D’autres entreprises rédigent des chartes de bonnes pratiques et aujourd’hui ce sont celles de responsabilités sociales qui sont en vogue. Ces dernières évoquent non seulement les droits et obligations de l’employeur en matière d’organisation du travail et du respect des obligations légales, mais aussi les règles à mettre en place pour intéresser et impliquer les partenaires sociaux à la conduite des affaires. Est-ce suffisant ? La réponse est évidemment négative. En dépit de toutes les mesures préventives, l’entreprise peut être amenée à vivre des moments difficiles. Il ne faut jamais laisser traîner la situation ou cacher ces difficultés. Plus on est transparent, plus les collaborateurs sont disposés à montrer plus de patience. «Encore faut-il que le patron se soit montré crédible par le passé», tempère M. Serhani.

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